Qui êtes-vous ? Racontez-nous votre parcours.
Ma thèse, dirigée par le Pr Astrid von Busekist et Ariel Colonomos, portait sur les justifications des pratiques d’assassinats ciblés, soit l’élimination extraterritoriale de personnes soupçonnées d’être une menace imminente pour la sécurité, en Israël et aux États-Unis. Pour rendre compte de ces pratiques, j’ai choisi d’adopter une démarche scientifique interdisciplinaire et comparativequi découle de mon double profil en théorie politique et en relations internationales acquis à Sciences Po. Au cours de cette recherche, je me suis rendu compte de l’importance prise par les juristes au sein des opérations militaires, ce qui m’a conduite, en post-doctorat, à faire une étude monographique du département juridique de Tsahal. Dans le cadre du programme « Ambassadeur » (DGRIS/IRSEM), j’ai pu être détachée à l’université de Tel Aviv afin d’analyser plus avant le lawfare, soit ’l’utilisation du droit de la guerre à des fins stratégiques. Cette première recherche postdoctorale m’a amenée à formuler un projet d’ouvrage portant sur les « guerres douces » d’Israël, dans lequel j’interroge les outils d’influence utilisés pour réaliser des objectifs politiques ou militaires sans nécessairement recourir à la violence « cinétique » (cyberguerre, guerre cognitive, arme économique et boycott). Ce travail en cours d’élaboration a d’abord été soutenu par le Centre de recherche français de Jérusalem (MAE/CNRS) où j’ai eu la chance de pouvoir travailler pendant l’automne 2019, puis aujourd’hui par l’IRSEM et le CERI.
Quels sont vos axes de recherche actuellement ? Où peut-on vous lire ?
Ma thèse portait sur l’utilisation de la force létale, la plus « dure » qui soit. Elle a donné lieu à la publication d’un livre intitulé Assassinats ciblés. Critique du libéralisme armé aux éditions du CNRS dans la collection « Guerre et Stratégie » de l’Association pour les études sur la guerre et la stratégie (AEGES). Aujourd’hui, j’analyse l’autre face, la violence dite non cinétique, dans le conflit israélo palestinien, c’est-à-dire comment l’armée utilise d’autres moyens pour accomplir ses missions, comme le droit, le boycott, les leviers économiques mais aussi les représentations audiovisuelles et les récits. Ces outils, qui correspondent aux champs immatériels de la puissance, sont rassemblés dans ce que la littérature anglo-saxonne appelle la « guerre douce ». C’est une forme de soft power militaire qu’il me paraît intéressant d’éclairer. Dans cette perspective, j’ai analysé la doctrine israélienne des guerres de l’information dans un ouvrage collectif dirigé par Maud Quessard et Céline Marangé intitulé Les guerres de l’information à l’ère numérique. J’ai également analysé la représentation de Tsahal dans la série TV Fauda dans un article intitulé « Le chaos des subjectivités. Fauda. ». En outre, je continue d’analyser la politique étrangère israélienne, soit par des notes de recherche fouillées, comme celle rédigée avec Anne-Laure Mahé sur le rapprochement entre Israël et le Soudan et le bilan de la diplomatie du deal, soit par des articles plus synthétiques participant au débat public sur des questions d’actualité, comme celui résumant les enjeux de l’élection américaine pour Israël dans The Conversation.
Pourquoi avoir choisi la « recherche » ? Comment percevez-vous votre rôle de chercheur ?
J’ai choisi la recherche parce que l’une des choses que j’aime le plus au monde, c’est lire et écrire. La recherche me permet de me nourrir intellectuellement, de ne pas tourner en rond tout en découvrant de nouveaux sujets et en rencontrant des gens exceptionnels. Dans mes enquêtes de terrain, j’ai pu interroger des juges à la Cour suprême, des agents secrets, mais aussi des personnes travaillant pour des organisations de défense des droits de l’homme, des rapporteurs à l’ONU... Cela a vraiment élargi mon champ de vision. Nous vivons aujourd’hui dans une société où l’information n’a jamais été aussi accessible et abondante. Il me semble que mon rôle de chercheuse est de participer à cette production de l’information, en allant interroger des personnes qui n’ont pas de relais médiatiques, parce qu’ils ne le peuvent ou ne le veulent pas. Il s’agit également de fournir un appareil critique aux discours présents, les analyser et les synthétiser pour essayer d’en faire sens. Enfin, la recherche est un engagement dans l’enseignement, très important pour moi car c’est dans une salle de cours, lors de discussions avec les étudiants, que l’on peut transmettre, réfléchir, et parfois amender notre pensée.