BS 66 Mathey Landry OTAN

 

 

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Évolution de l’OTAN : Poursuite ou accélération du processus de transformation ?

Éveline Mathey et Pierre Landry

 

Confrontée depuis 2014 à la détérioration de son environnement stratégique, l’OTAN adapte sa posture militaire afin de renforcer sa défense collective et de faire face aux défis futurs. À cette fin, l’Alliance engage des transformations lui permettant, d’une part, d’être capable de défendre son territoire et, d’autre part, d’anticiper les menaces.

 

Conçue pour assurer la sécurité collective de ses États membres et protéger leurs intérêts, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord a connu de nombreuses évolutions depuis 1949. Ces diverses mutations se sont toujours articulées autour d’un « concept stratégique », établi en réponse à un paysage géostratégique évolutif. Si l’OTAN a fait de la défense territoriale de ses membres sa priorité durant la guerre froide, la chute de l’URSS marque le début d’une nouvelle doctrine où la coopération entre États membres et pays partenaires de l’Alliance devient fondamentale. Quelques années plus tard, en réaction aux attentats du 11 septembre 2001, l’Alliance transatlantique fait à nouveau évoluer sa doctrine et définit une stratégie de projection de ses forces en dehors de ses frontières.

La guerre dans le Donbass et l’annexion de la Crimée en 2014, puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 conduisent l’OTAN à adapter sa doctrine et à adopter un nouveau concept stratégique au sommet de Madrid en juin 2022. En bafouant la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine, la Russie bouleverse, en effet, l’équilibre géostratégique et fait peser une menace sur les frontières de l’Europe. En réaction, l’OTAN conçoit de nouveau la défense territoriale de ses membres comme sa priorité première. Une telle réorientation, prise en réaction au retour de la guerre de haute intensité et à la prégnance des menaces en Europe, vise notamment à renforcer les capacités militaires des pays de l’OTAN.

Ainsi, lors du sommet de Newport de 2014, l’OTAN avait annoncé la création du plan d’action « réactivité » (RAP). Il comprend un ensemble de mesures d’assurances et d’adaptations militaires sous forme d’actions terrestres, maritimes et aériennes en Europe centrale et orientale destinées à renforcer la sécurité collective de l’OTAN : une force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF), disponible en permanence, déployable sous très court préavis est notamment créée. Le RAP prévoit également le triplement des effectifs de la Force de réaction de l’OTAN (NRF), opérationnelle depuis 2004, ainsi que le renforcement des forces navales permanentes de l’Alliance.

Puis l’organisation poursuit sa transformation. En février 2015, les ministres de la Défense de l’OTAN décident que la VJTF comprendra 5 000 hommes, et disposera de capacités terrestres, aériennes, maritimes et de forces spéciales accrues. Cette montée en puissance de la capacité militaire des pays de l’OTAN s’accentue avec le renforcement de la NRF, décidé en juin 2015, qui prévoit de faire passer la NRF de 13 000 à 40 000 hommes déployables sous quinze jours, d’accélérer les processus de décision militaire comme politique et de pré-positionner des équipements américains. Des plans de réponse graduée, outils de planification détaillés permettant d’augmenter la préparation de l’OTAN, sont aussi établis afin d’améliorer la disponibilité opérationnelle de la NRF. Enfin, la rencontre des ministres de la Défense de l’OTAN en février 2016 aboutit à la création de l’initiative « renseignement, surveillance et reconnaissance interarmées » (JISR), destinée à consolider les capacités de l’Alliance en termes de renseignement et d’une meilleure connaissance de la situation opérationnelle. Les mesures prises lors du sommet de Varsovie de juin 2016 amplifient la transformation avec la création et l’installation d’une présence avancée renforcée de l’OTAN (eFP), l’établissement de quatre bataillons multinationaux en Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne, ainsi qu’un préavis donné à la VJTF pour se déployer réduit à quelques jours.

Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’OTAN accélère sa transformation. Elle engage, pour la première fois, une partie des capacités à haut niveau de préparation de la NRF dans une fonction de défense et de dissuasion. Le sommet de Madrid annonce de nouvelles mesures de transformation. Ainsi, dans le cadre du concept stratégique 2022, l’OTAN renforce sa présence avancée en Europe, avec l’établissement de quatre bataillons multinationaux supplémentaires (appelés à évoluer en brigades) en Bulgarie, Hongrie, Roumanie et Slovaquie, et le déploiement d’avions et de navires additionnels en mer Méditerranée et en mer Baltique. Les Alliés ont, de plus, approuvé la mise en place du nouveau modèle d’armée de l’Alliance, le NATO New Force Model, destiné à remplacer la NRF. Conçu en trois étapes, il fixe comme objectifs de pouvoir déployer 100 000 hommes sous dix jours, puis 200 000 soldats de plus sous un mois, et enfin 500 000 hommes supplémentaires sous six mois. Ce modèle d’armée permet de fournir une plus large réserve de forces à haut niveau de préparation et à les pré-affecter à l’exécution de plans spécifiques pour la défense des Alliés.

S’inscrivant dans la continuité des précédents sommets d’adaptation des capacités de l’Alliance, celui de Vilnius, en juillet 2023, se caractérise par un nouvel élargissement avec l’entrée de la Finlande et l’annonce de celle de la Suède, deux pays antérieurement neutres, et marque le doublement de la longueur de la frontière de l’OTAN avec la Russie. La nouvelle génération de plans de défense régionaux est mise en place. Dédiés aux frontières Nord, Est et Sud de l’Alliance, et destinés à défendre les Alliés, ils accompagnent la création de la nouvelle force de réaction alliée multinationale et multi-domaine.

En plus des transformations militaires, l’OTAN s’adapte en anticipant les évolutions technologiques de l’environnement stratégique. Le Commandement allié transformation (ACT), basé à Norfolk (USA), dont 2023 marque les vingt ans[1], remplit cette fonction. Confrontée à l’émergence de nouveaux champs de conflictualité (espace, cyber, fonds marins...) et au développement croissant de la guerre cognitive, l’OTAN s’emploie à maintenir son avance technologique sur ses adversaires.

Pour l’actuel commandant suprême d’ACT, le général (FR) Lavigne, la réponse de l’Alliance à ces défis futurs doit s’articuler autour de la transformation digitale et des opérations multi-domaines. Ces deux objectifs permettront à l’OTAN de développer une plus grande agilité et une meilleure interopérabilité des forces. La nouvelle stratégie militaire de l’Alliance (2019) se décline avec le concept de Dissuasion et Défense pour la zone euro-Atlantique (DDA) de 2020 et le Concept cadre de l’OTAN sur la capacité à combattre (NWCC) approuvé par les chefs d’État et de Gouvernement en 2021. En fixant comme axes prioritaires pour le développement capacitaire la suprématie cognitive, la résilience civile et militaire, la projection d’influence et de puissance, le commandement inter-domaines et la défense multi-milieux intégrée, le NWCC vise à parfaire l’avantage militaire de l’Alliance en matière d’anticipation des menaces, d’agilité des forces, d’approche multi-domaines, de rapidité de décision, de développement d’opportunités partenariales et d’endurance. En termes d’applications concrètes, le processus OTAN de planification et de défense, réactualisé en 2023, identifie les capacités requises pour tout le spectre des opérations et permet d’harmoniser les activités de défense des pays et de l’Alliance. Ce nouveau cycle combine un niveau d’ambition exigeant, des concepts novateurs et la nécessité de mieux harmoniser la planification avec les opérations.

Les processus de transformation et d’anticipation se concrétisent aussi par les volets formation et R&D. Introduits, dans le cadre de la réorganisation de la structure de commandement militaire, au sommet de Prague (2002), les centres d’excellence de l’OTAN, aujourd’hui au nombre de trente, participent à la formation des personnels des pays alliés et partenaires. Conçus au fur et à mesure de l’apparition de nouveaux domaines de conflictualité, ils renforcent les liens entre les pays alliés, les partenaires et l’Alliance dans un objectif de préparation aux défis à venir.

Dans le domaine de la recherche, le lancement, cette année, de l’accélérateur d’innovation de défense pour l’Atlantique Nord (DIANA) qui réunit universitaires, secteurs privé et public, jeunes pousses innovantes permet de travailler sur les technologies émergentes et de rupture comme sources d’opportunités pour résoudre les problèmes critiques de défense et de sécurité. Doté d’un fonds capital-risque multi-souverain d’un milliard d’euros, il favorise la coopération transatlantique. En 2023, les trois priorités de travail de DIANA portent sur la résilience énergétique, le partage d’information sécurisé, la détection et la surveillance. Il valorise le lien entre recherche fondamentale et appliquée.

L’OTAN pourra ainsi disposer d’un instrument militaire de puissance apte à conserver un avantage déterminant dans un environnement stratégique plus interconnecté, plus imprévisible et d’une plus grande complexité.

 

 

Éveline Mathey, spécialiste des organisations multilatérales de sécurité à l’IRSEM, a été administratrice à l’OTAN.

Contact : eveline.mathey@irsem.fr

Assistant de recherche à l’IRSEM, Pierre Landry est étudiant en M2 « Stratégie, intelligence économique et gestion des risques » à Sciences Po Lille.

Contact : landrypierre.pro@gmail.com



[1] 2023 est aussi l’année en France du vote de la Loi de programmation militaire axée sur la transformation des armées.