Visuel BS 56 Mathey

 

Télécharger la brève stratégique n° 56 - 2023

L’article 5 de l’OTAN à l’aune des attentats du 11 septembre 2001

Eveline Mathey

 

L’invocation de l’article 5 de l’OTAN est un choix politique de solidarité en réponse à une atteinte à l’intégrité d’un État membre. Elle relève d’un processus d’évaluation circonstanciée dont le but est, par consensus, d’acter la nécessité d’un recours à une réponse collective pour rétablir et assurer la sécurité. La situation commande parfois que la réaction s’opère aussi sous forme d’une coalition. Le retour sur l’exemple du 11 septembre 2001 proposé ici en témoigne.

 

Des interprétations hâtives et erronées de l’invocation possible de l’article 5 ont pu être relevées lors de la chute du missile sur le sol polonais en novembre 2022, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Celles-ci trahissent une méconnaissance de certains mécanismes relevant du traité de l’Atlantique Nord. L’article 5, qui en est au cœur, ne se décrète pas sans raison étayée. L’article 5 du traité, qui, depuis 1949, a pour dessein de sauvegarder les principes de la démocratie, les libertés individuelles et l’État de droit, dispose « qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre [les parties] survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties […] ». Cette disposition illustre le principe de solidarité et symbolise la capacité de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à exercer sa mission de défense collective.

À cet égard, le séquencement de l’élaboration de la réaction aux attentats du 11 septembre 2001 permet d’illustrer que prudence, précision et rigueur d’analyse en situation de crise aiguë doivent, en toutes circonstances, prévaloir. Cette brève a pour but de revenir sur ces aspects et de remettre ainsi en perspective les débats actuels dans le contexte qui se joue sur le flanc Est de l’OTAN.

En effet, dès l’annonce de l’impact contre la première tour du World Trade Center, de nombreuses réunions internes au secrétariat international de l’OTAN se sont enchaînées tout au long de la journée. Le secrétaire général de l’OTAN de l’époque, Lord Robertson, son cabinet, le secrétaire général délégué à la planification de défense et aux opérations, son adjoint et le chef du bureau de la politique de défense, le secrétaire général délégué pour les affaires politiques, le chef du centre de l’OTAN de lutte contre les armes de destruction massive ont œuvré pour obtenir des informations et des renseignements sur la nature de l’acte et sur les implications juridiques qui en découlaient au regard du traité, du concept stratégique et de la déclaration du sommet de Washington de 1999. À l’initiative du représentant permanent du Canada, doyen du Conseil de l’Atlantique Nord (CAN), il a alors été suggéré d’invoquer l’article 5, sous réserve de l’accord du pays agressé.

De son côté, le représentant permanent américain auprès de l’OTAN, R. Nicholas Burns, était en contact étroit avec ses autorités politiques et militaires ainsi qu’avec le commandant suprême allié en Europe, le général J. Ralston. Une première réunion informelle avec les ambassadeurs s’est tenue dans le bureau du secrétaire général de l’OTAN. Le travail s’est poursuivi toute la journée et dans la nuit. Le lendemain matin, 12 septembre 2001, le secrétaire général de l’OTAN a proposé un projet de texte au CAN qui donnerait un aval unanime à la proposition d’invocation de l’article 5 ; ce projet de déclaration, transmis aux autorités américaines par les soins du cabinet du secrétaire général pour recueillir leur réaction, avait été en parallèle envoyé par l’ambassadeur américain au secrétaire d’État, Colin Powell, en recommandant de l’approuver. Des échanges avaient aussi eu lieu avec la conseillère à la sécurité nationale, Condoleezza Rice. Le secrétaire d’État l’a alors transmis au président George W. Bush qui a donné son accord pour que l’article 5 de l’OTAN soit déclaré.

Aux questions de certaines délégations sur la nature attendue de leur contribution, le service juridique de l’OTAN a confirmé qu’aux termes du traité, il était de la responsabilité de chaque allié de prendre les mesures qu’il jugeait nécessaires. Des assurances ont aussi été données sur la poursuite du processus de consultation avec les nations. Ces clarifications ont permis de dégager l’accord unanime du Conseil de l’Atlantique Nord pour soutenir la proposition du secrétaire général. Conformément au traité de Washington, le secrétaire général de l’OTAN a informé le secrétaire général de l’ONU.

L’article 5 n’a pas été formellement invoqué le 11 Septembre. Après l’acceptation par le pays attaqué d’invoquer l’article 5 et l’obtention de l’accord du CAN, il était important de caractériser l’attaque. Les avions qui ont percuté les tours du World Trade Center et le Pentagone ainsi que celui qui, destiné à frapper un bâtiment fédéral de Washington, s’est écrasé en Pennsylvanie ont été assimilés à des missiles faisant de cette attaque, une attaque armée. Le type d’action, le nombre de morts en une seule journée et la symbolique des lieux en font des actes terroristes d’une magnitude exceptionnelle. Restait à prouver qu’ils avaient bien été dirigés depuis l’étranger. Six ans après les attentats d’Oklahoma City (168 morts, 700 blessés) commis par des extrémistes américains anti-gouvernementaux, il fallait en effet s’assurer que les actes terroristes du 11 Septembre n’étaient pas d’origine endogène.

Les Américains se sont dès lors employés à partager avec les alliés les renseignements obtenus sur ces attentats. Aux briefings donnés par les États-Unis dans les capitales alliées, se sont ajoutés ceux dispensés par plusieurs émissaires américains de haut niveau venus au siège de l’OTAN informer le Conseil de l’Atlantique Nord des progrès de l’enquête sur l’origine de l’attaque et préciser le type de réaction envisagé par les États-Unis.

Le 20 septembre, Richard L. Armitage, secrétaire d’État adjoint américain aux Affaires étrangères, renseigne sur le financement de l’attaque et évoque des mesures de facilitation de la réponse militaire. Il annonce la mise en place d’une grande coalition pour lutter contre le terrorisme. Le 26 septembre, Paul Wolfowitz, secrétaire d’État adjoint à la défense, après la réunion ministérielle informelle « Défense », insiste sur la nécessité d’une campagne globale, multinationale et pluri-vectorielle qui inclut différents instruments (diplomatiques, juridiques, financiers, militaires et de renseignement). Le 2 octobre, l’ambassadeur Frank Taylor, coordinateur du département d’État pour la lutte contre le terrorisme, précise les rôles d’Oussama ben Laden, d’Al Qaïda, et les liens entre Al Qaïda et le régime taliban en Afghanistan. Il établit avec certitude que l’attaque a bien été dirigée depuis l’étranger.

Le 2 octobre 2001, le secrétaire général de l’OTAN, Lord Robertson, confirme que l’attaque du 11 Septembre contre les États-Unis a été dirigée depuis l’étranger et qu’elle relève de l’article 5 du traité de Washington. Le 4 octobre, le Conseil de l’Atlantique Nord approuve un paquet de huit mesures d’assistance demandées par les États-Unisdans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elles visent notamment à accroître l’échange de renseignements, à assister certains alliés, à renforcer la sécurité des implantations américaines et alliées. Elles portent aussi sur des autorisations de survol et d’accès aux ports et aérodromes pour les appareils américains et alliés pour les vols militaires liés aux opérations. L’Alliance se rendra prête à déployer des moyens aériens et maritimes.

Face au refus du gouvernement afghan de leur livrer Oussama ben Laden, les États-Unis enclenchent une riposte militaire. L’opération de lutte contre le terrorisme Enduring Freedom, coalition de plus de 40 pays, sous conduite américaine, débute le 7 octobre 2001. Elle se déroule en grande partie sur le territoire de l’Afghanistan.

Cette opération est complétée, le 20 décembre 2001, par la mise sur pied, sous mandat des Nations unies, de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS), initialement sous commandement du Royaume-Uni, qui deviendra une opération de l’OTAN à partir d’août 2003 et ce jusqu’en décembre 2014.

Du 9 octobre 2001 au 16 mai 2002, comme agréé le 4 octobre par le CAN, l’OTAN mène sa toute première opération antiterroriste Eagle Assist. L’OTAN déploie ainsi 7 AWACS (système aéroporté de détection et de contrôle) qui aident les Américains à défendre leur espace aérien, à prévenir d’autres attaques et à réduire la pression opérationnelle sur la flotte américaine d’AWACS. C’est la première fois que des moyens militaires de l’OTAN appuient une opération relevant de l’article 5. Le 26 octobre 2001, l’opération Active Endeavour, deuxième opération antiterroriste, déploie des éléments des forces navales permanentes de l’OTANen Méditerranée orientale pour y effectuer des patrouilles et décourager les activités terroristes, y compris les trafics illicites. Cette opération, étendue à la totalité de la Méditerranée en mars 2004, se termine en 2016.

De ce qui précède, il résulte que le recours à l’article 5 exige une démarche élaborée de vérifications, de confirmations des faits et de dialogue avec les nations. Sans être spécifiées dans le traité, ces différentes étapes sont incontournables dans l’élaboration d’un mode de décision fondé sur le consensus et d’une action qui engage les nations et leurs forces armées. Ainsi convient-il de se dispenser d’établir d’emblée un lien entre l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et des actes qui n’ont pas été précisément caractérisés.

 

Eveline Mathey, spécialiste des organisations multilatérales de sécurité à l‘IRSEM, a été administratrice à l’OTAN.

Contact : eveline.mathey@irsem.fr