Visuel BS 54 Hainaut

 

Télécharger la brève stratégique n° 54 - 2023

SpaceX, 20 ans de révolution spatiale.

CNE Béatrice Hainaut

 

La société SpaceX est devenue en 20 ans le parangon du New Space. Par ses méthodes, son patron, Elon Musk, a profondément modifié l’industrie spatiale. Les activités de SpaceX ont également un impact sur l’occupation de l’espace in situ. Cette brève résume l’ensemble de ces bouleversements, en posant également la question des conséquences induites.

 

SpaceX est une entreprise américaine qui conçoit, fabrique et lance des fusées et des engins spatiaux. Elle affirme vouloir « révolutionner la technologie spatiale, dans le but ultime de permettre aux gens de vivre sur d’autres planètes ».

Créée en 2002, la société a battu des records en 2022. Elle a réalisé 61 (contre 31 en 2021) des 87 lancements américains (sur les 186 au total dans le monde / 146 en 2021) sans aucun échec. SpaceX a su profiter de décisions politiques américaines prises depuis les années 1990 permettant, et même encourageant, les acteurs privés à investir l’espace et à investir dans l’espace. De ce fait, SpaceX a initié plusieurs révolutions de différents types.

La première révolution est relative à l’abaissement du coût des lancements. Celui-ci est la conséquence de plusieurs facteurs : la possibilité de récupérer et de réutiliser certains éléments des lanceurs, une fréquence de tir de fusée élevée (en moyenne en 2022, un tir tous les 5 jours), un recours minimal à des prestataires extérieurs pour concevoir, mettre en œuvre et commercialiser les produits de SpaceX, et enfin, une tarification des services de lancement à destination des clients institutionnels jusqu’à deux fois supérieure à celle pratiquée sur le marché commercial.

Son lanceur emblématique est le Falcon 9 qui domine le marché mondial. L’agence spatiale européenne, qui souffre actuellement d’un déficit de lanceurs, fera d’ailleurs appel à ce dernier pour lancer des missions scientifiques en 2023 et 2024. D’autres lanceurs existent, comme le lanceur lourd Falcon Heavy ou encore Starship. Leur succès commercial est incertain à ce jour mais ils restent toutefois prometteurs.

SpaceX a ensuite permis aux États-Unis de ne plus dépendre de la Russie pour l’envoi de ses astronautes vers la station spatiale internationale. En effet, répondant à l’initiative Commercial Crew Program de la NASA, ayant pour objectif de favoriser l’émergence d’acteurs privés capables de développer des moyens de transport (fusées et capsules) à destination de la station spatiale internationale, SpaceX a développé le Crew-1 qui a volé dès 2020. Bien que Boeing ait été également sélectionné par la NASA, seul le vaisseau de SpaceX est opérationnel et l’envol du Crew-6 est prévu pour mi-février 2023. De la même façon, SpaceX a été choisi pour confectionner le vaisseau lunaire qui devrait poser des astronautes sur la Lune : le Starship, dont le vol inaugural est annoncé pour ce début d’année. Starship pourrait également être utilisé comme nouveau moyen de transport ultra rapide de personnes autour du globe terrestre. Le transport de troupes et de matériels via l’espace est également à l’étude au sein des armées américaines.

Enfin, SpaceX est connu pour la mise en œuvre de sa constellation Starlink. Celle-ci permet de fournir un accès Internet à haut débit et à faible latence à n’importe quel endroit de la planète ou presque. La constellation compte actuellement plus de 3 500 satellites en orbite. Elle a obtenu récemment une licence de la Federal Communications Commission (FCC) (autorité nationale américaine en charge de l’attribution des licences au profit des entreprises privées) pour le déploiement des Starlink de deuxième génération au nombre de 7 500 satellites. Aujourd’hui, Starlink revendique 10 000 clients français sur 700 000 de par le monde. De plus, son association avec le géant du numérique Microsoft lui permettra de satisfaire des besoins militaires en termes de services cloud.

En outre, SpaceX a annoncé récemment avoir développé une nouvelle ligne commerciale dédiée aux services de sécurité nationale, répondant au nom très évocateur de Starshield. La société a débuté ses activités au profit des armées américaines en 2017 en lançant un satellite militaire pour le National Reconnaissance Office (NRO – agence fédérale en charge des satellites de reconnaissance) le 1er mai 2017. Starshield se focalisera sur des contrats gouvernementaux dans trois domaines : observation de la Terre, télécommunications et emport de charges utiles. Ainsi, SpaceX maîtrisera, une fois de plus, l’ensemble de la chaîne de valeur en fournissant le satellite, les terminaux utilisateurs et le lancement.

Ces révolutions ne sont pas sans soulever certaines craintes. Aux États-Unis, la Defense Innovation Unit (DIU), organisation du département de la Défense en charge d’accélérer l’intégration de solutions commerciales au sein des armées, s’inquiète du développement par certaines entreprises de technologies propriétaires. Ces logiques ont un impact sur le projet de la DIU qui vise à utiliser les systèmes commerciaux de communication comme canaux de transport afin d’acheminer les données collectées par les satellites d’imagerie et les livrer rapidement aux utilisateurs gouvernementaux. Cette architecture spatiale hybride suppose que les satellites de télécommunications des orbites basses, moyennes et géostationnaires communiquent entre eux pour le transport des données via des liaisons interopérables. Si les opérateurs commerciaux utilisent des technologies propriétaires, l’interopérabilité entre les systèmes ne peut pas se réaliser. Dans cette optique, SpaceX assure que les satellites Starshield seront interopérables avec les autres satellites.

Une autre crainte est formulée aux États-Unis en particulier, mais pas seulement : SpaceX est accusé de pollution lumineuse et pollution spatiale. En effet, les panneaux solaires des satellites renvoient et diffusent la lumière du soleil. La forte luminosité des Starlink associée à leur nombre empêche une observation optimale du ciel par les astronomes. Bien que SpaceX ait récemment signé un accord avec la National Science Foundation afin de réduire cette pollution, les astronomes restent sceptiques quant au résultat, l’accord n’ayant aucun caractère obligatoire. SpaceX est également accusé d’alimenter la pollution spatiale et de nuire à l’accès durable à l’espace. Pour se défendre contre ces critiques, SpaceX fait en sorte (surtout pour les satellites de deuxième génération qui seront lancés) de s’engager à désorbiter ses satellites (rentrée et destruction dans l’atmosphère) sous 5 ans (récente exigence de la FCC). Reste le risque de collision, pour lequel SpaceX a équipé ses satellites de système automatique d’évitement. Enfin, avec une ambition de 42 000 satellites en orbite, la société fait craindre un effet d’entraînement sur les autres acteurs du New Space dans le monde, dont les projets de constellations se multiplient.

En France, en 2022, une consultation publique de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), a permis de mettre en lumière d’autres critiques. Cette consultation publique faisait suite à la demande de SpaceXde l’autoriser à utiliser certaines fréquences dans le but de fournir son service aux utilisateurs français. Bien que la consultation ait permis de mettre en avant l’utilité de cette constellation pour la France (couverture des zones blanches, montagneuses et insulaires), d’aucuns s’inquiètent du fait que les spectres de fréquences attribuées par l’ARCEP à SpaceX ne puissent plus l’être à ses concurrents français à venir. En effet, en situation de quasi-monopole, la société occupe de facto certaines portions de l’orbite basse et opère, d’une certaine manière, une territorialisation de celle-ci. L’occupation physique se double donc d’une occupation spectrale.

Fort de cette situation inédite pour un acteur privé, le patron de SpaceX se laisse aller à certains commentaires relevant de la politique internationale. Son influence est certes à relativiser, mais ses déclarations, très médiatisées, font réagir les dirigeants des pays qu’il vise dans ses tweets. D’autres types de questions sont du reste susceptibles de se poser. Par exemple, l’utilisation de la constellation Starlink en Ukraine a fait dire à la Russie que les satellites commerciaux pouvaient être considérés comme des cibles militaires. Cela pose de multiples questions, notamment d’ordre juridique. Le droit des conflits armés pourrait-il être invoqué dans l’espace ? La destruction des satellites Starlink offrirait-elle un avantage militaire précis à la Russie ? Et comment prendre en considération leur usage dual dans l’analyse ? Par ailleurs, il semble qu’une méga-constellation est résiliente par définition, et qu’une destruction totale est peu crédible. Si la constellation subit des cyberattaques régulières, elle semble plutôt bien résister pour le moment.

 

Docteure en science politique (relations internationales) de l’Université Paris-Panthéon-Assas, la capitaine Béatrice Hainaut est chercheuse sur les questions spatiales à l’IRSEM.

Contact : beatrice.hainaut@irsem.fr