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Enjeux climatiques et conflits : une lecture stratégique de la COP27

Charlotte Desmasures

 

Guerre en Ukraine, tensions entre les États-Unis et la Chine, revendications de souveraineté par Taïwan : la 27e édition de la Conférence des parties (Conference of Parties – COP) sur les changements climatiques montre à quel point les enjeux stratégiques liés aux questions de souveraineté et de défense encadrent, voire influencent, les discussions sur le climat.

 

La Conférence de Charm el-Cheikh sur les changements climatiques, dite COP27, s’est déroulée du 6 au 18 novembre dernier. Ce rendez-vous annuel de négociations autour du climat s’est tenu dans un contexte stratégique complexe pour l’action climatique. Si le climat est évidemment le fil rouge des négociations entre les États, observer ces discussions permet de comprendre qu’une telle rencontre est aussi une scène pour mettre en avant d’autres sujets à haute teneur stratégique, via des pratiques diplomatiques formelles et informelles. La COP27 s’est tenue un mois après le vote par l’Assemblée générale des Nations unies d’une résolution condamnant l’annexion illégale par la Russie de certaines zones de l’Ukraine orientale. Dans ce contexte, la guerre en Ukraine n’a pas manqué d’être rappelée à de nombreuses occasions en raison du lien entre la situation actuelle et la crise énergétique et environnementale que celle-ci entraîne. À ce titre, Volodymyr Zelenski, le président de l’Ukraine, a déclaré qu’il ne pouvait y avoir de politique climatique efficace sans paix, dans un discours vidéo retransmis le 8 novembre. Cette relation entre la guerre et les dommages environnementaux a d’ailleurs particulièrement été mise en avant dans le Pavillon de l’Ukraine, à l’occasion d’événements parallèles relatifs aux déchets de la guerre, présentés comme des défis pour l’environnement et le climat. La crise énergétique causée par la guerre en Ukraine a également été mentionnée durant l’événement, notamment grâce au Pavillon de l’Union européenne qui a organisé des événements parallèles autour de l’accélération de la transition écologique pour sortir de la crise énergétique actuelle ou sur la sécurité alimentaire.

Les espaces connexes aux négociations climatiques formelles, c’est-à-dire les Pavillons et les événements parallèles, sont également un moyen pour certains États d’obtenir une certaine visibilité internationale, alors même qu’ils sont marginalisés sur la scène diplomatique du fait de différends politiques et stratégiques. C’est le cas de Taïwan qui, dans le cadre de cette COP27, a opéré des stratégies de contournement pour réussir à obtenir des accréditations afin de se rendre à la Conférence, alors même que le Secrétariat général des Nations unies et le gouvernement égyptien appliquent le principe de la politique d’une seule Chine. Si Taïwan était absent de la table des négociations, les appuis financiers et les partenariats réguliers avec les petits États insulaires en développement lui ont permis d’envoyer des représentants à la COP grâce à des stratégies relevant de la diplomatie publique. Par exemple, Taïwan a participé au financement du Pavillon de la Fédération de Saint-Christophe-et-Niévès, via son Fonds de coopération et de développement international, ce qui a permis à ses représentants de prendre part aux activités qui se sont déroulées en marge des négociations formelles, car ils étaient accrédités en tant que membres d’organisations non gouvernementales (ONG). D’autres petits États insulaires du Pacifique ont également affiché publiquement leur soutien à Taïwan. Cela a été le cas de la République des Palaos, par la voix de son président Surangel Whipps Jr. qui, lors d’une déclaration de haut niveau le 10 novembre, a rappelé que les efforts communs pour lutter contre le changement climatique devaient inclure Taïwan, qui n’est pas partie aux conventions des Nations unies mais qui encourage les aspirations climatiques d’autres pays. Cet appui public à Taïwan s’est également retrouvé lors du discours du Premier ministre des Tuvalu, Kausea Natano, qui estime que les efforts de Taïwan pour respecter les objectifs de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques devraient être reconnus. Les Palaos et deux ONG taïwanaises, Environmental Quality Protection Foundation et Mom Loves Taïwan Association, ont également co-organisé un événement parallèle le 11 novembre. Un représentant du gouvernement taïwanais y a participé aux côtés d’Alex L. J. Shyy, secrétaire général du Fonds de coopération et de développement international de Taïwan. De ce fait, la stratégie informelle de co-organisation d’événements parallèles à la COP27 entre les petits États insulaires en développement et Taïwan ainsi que l’assistance financière du gouvernement taïwanais à ces petits États via ses agences financières, permettent de lui offrir une certaine visibilité dans ce forum de négociation climatique.

Les tensions directes entre la Chine et Taïwan relatives à la reconnaissance de ce dernier se sont également reflétées au cours des négociations. La Chine a en effet vivement critiqué les appels lancés par plusieurs délégations de petits États insulaires pour que Taïwan soit inclus dans le processus annuel des pourparlers pour le climat. À travers l’utilisation d’une déclaration de droit de réponse, la Chine a pressé la Conférence de s’en tenir au principe d’une seule Chine.

Cette COP s’est également déroulée sur un fonds de tensions diplomatiques entre les États-Unis et la Chine. Au début de la Conférence, António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a rappelé que les deux plus grandes économies mondiales avaient la responsabilité d’unir leurs efforts pour faire d’un pacte de solidarité climatique une réalité. Or, depuis la visite de Nancy Pelosi à Taïwan en août 2022, les relations et les discussions entre les deux puissances sont gelées. Pour certains observateurs, ce manque de communication risque de ralentir, voire de compromettre, les avancées des négociations climatiques. À la surprise générale, le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping ont pourtant convenu de reprendre la coopération notamment sur le climat le 14 novembre, lors du G20 à Bali, donnant ainsi un nouvel élan à des négociations enlisées et en retard sur le calendrier de la Conférence. Lors d’un discours à la COP le 11 novembre, Joe Biden a également réitéré l’engagement des États-Unis à fournir 11,4 milliards de dollars par an d’ici 2024 pour aider les pays en développement à réaliser leur transition vers les énergies renouvelables.

Par ailleurs, si le contexte de ces négociations multilatérales a dès le début été marqué par des tensions d’ordre stratégique entre plusieurs pays, un compromis a néanmoins été trouvé concernant la question des compensations financières. En effet, c’était la première fois que l’idée de réparations climatiques figurait à l’ordre du jour officiel d’une COP. Pendant des années, les États-Unis et l’Union européenne ont bloqué les appels au financement des pertes et dommages financiers, craignant que cela n’expose à une responsabilité illimitée les pays dont les émissions historiques ont alimenté le changement climatique. Alors que les négociations étaient dans l’impasse sur cette question, l’Union européenne a décidé de débloquer la situation, le 17 novembre, en proposant la création d’un « fonds pour les pertes et dommages causés aux pays vulnérables », financé par une large base de donateurs. Les modalités du financement du fonds précisent que les économies émergentes à fortes émissions, telles que la Chine, se doivent d’y contribuer, afin d’éviter que seuls les pays développés aient à le financer. Si certains se félicitent du compromis trouvé entre les grandes puissances émettrices sur la question financière, beaucoup considèrent que l’accord final est encore insuffisant, car l’abandon progressif de tous les combustibles fossiles ne figure pas dans le texte. Une proposition allant en ce sens et notamment portée par l’Inde a été bloquée lors des négociations par les pays producteurs de pétrole.

Il faut désormais attendre le prochain rendez-vous de la COP à Dubaï en 2023 pour savoir si la question des combustibles fossiles fera consensus. L’observation des sessions de négociations officielles, autant que l’espace des Pavillons lui-même, permet de mettre en lumière le fait que les discussions autour du climat sont indissociables de nombreux enjeux stratégiques, que ce soit par des effets de contexte qui ne sont pas propres à la COP, ou bien en raison du déroulement des négociations elles-mêmes, opposant de nombreux pays aux intérêts divergents. À l’heure de l’augmentation importante des dépenses militaires mondiales du fait de la guerre en Ukraine et des diverses tensions dans la zone Indo-Pacifique, on peut se demander si l’opérationnalisation du fonds pour les pertes et dommages ne va pas être ralentie, voire mise de côté.

 

 

Charlotte Desmasures est en Master de Relations internationales à l’École de la recherche de Sciences Po Paris. Elle a été assistante de recherche à l’IRSEM de mai à juillet 2022.

Contact : charlotte.desmasures@sciencespo.fr