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OTAN-Ukraine : quelle perspective d’adhésion ?

 

Amélie Zima

 

Le président russe Vladimir Poutine a lancé une nouvelle invasion contre l’Ukraine en février 2022, après l’annexion illégale de la Crimée en 2014 et le déclenchement de la guerre dans la région ukrainienne du Donbass. Parmi les justifications majeures avancées par le président russe figure le risque d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Cependant l’analyse de la relation OTAN-Ukraine montre que l’adhésion n’est pas une perspective envisageable car Kiev ne remplit pas les critères définis par l’Alliance.

 

Le rapprochement entre l’Ukraine et l’OTAN s’est opéré juste après la dislocation de l’URSS et l’indépendance du pays. L’Ukraine a rejoint les structures de partenariat de l’OTAN dès leur création : Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA) en 1991 et Partenariat pour la Paix (PpP) en 1994. La coopération entre l’OTAN et l’Ukraine a pour cadre principal la Commission créée en juillet 1997. Elle se réunit au niveau des chefs d’État et de gouvernement, des ministres et des chefs d’état-major, et plus régulièrement des ambassadeurs. Elle sert de cadre d’échanges pour les questions politiques et de sécurité présentant un intérêt commun ainsi que pour la mise en place de programmes visant à réformer le secteur de la défense, assurer la sécurité économique et coopérer dans les domaines scientifiques et environnementaux.

Dès 2002, sous la présidence de Léonid Koutchma, l’intégration à l’OTAN est un objectif de la politique étrangère ukrainienne. Cependant des changements politiques internes ont bouleversé l’agenda atlantique ukrainien. Si le Premier ministre puis président Ianoukovitch a réitéré sa volonté de coopération, il a également affirmé que la population ukrainienne n’était pas prête à adhérer. Cette déclaration a ouvert la voie à un abandon de la politique euro-atlantique, symbolisée en 2010 par le renoncement à l’objectif d’intégration à l’OTAN. Néanmoins l’éloignement le plus remarquable des institutions euro-atlantiques a été le refus de signer l’accord d’association avec l’Union européenne, qui a été le principal déclencheur du mouvement EuroMaïdan fin 2013-début 2014.

L’Alliance s’est alors positionnée du côté des manifestants en condamnant l’usage de la force par les forces de sécurité. Le Conseil de l’Atlantique nord (CAN), l’organe décisionnel le plus important de l’Alliance réunissant les chefs d’État et de gouvernement, a déclaré illégal et illégitime le référendum organisé en mars 2014 permettant le rattachement de la Crimée à la Russie. Les réunions du Conseil OTAN-Russie, instance de dialogue entre les deux parties créée en 2002, ont été suspendues avant de reprendre très sporadiquement à partir de 2016.

À la suite du changement de régime consécutif à l’EuroMaïdan, le Parlement ukrainien a voté en juin 2017 une loi faisant de l’adhésion à l’OTAN un objectif stratégique de la politique étrangère et de sécurité. D’un point de vue opérationnel, des soldats ukrainiens ont participé à plusieurs opérations de l’OTAN : missions de maintien de la paix dans les Balkans (KFOR), opérations de lutte contre le terrorisme (Active Endeavour en Méditerranée) et contre la piraterie au large des côtes de la Somalie.

L’OTAN est-elle en train de préparer l’adhésion de l’Ukraine ? Lors du sommet de Washington en 1999, l’OTAN lance un nouveau programme dit Plan d’action pour l’adhésion (MAP pour Membership Action Plan). Ce programme s’appuie sur l’expérience de l’élargissement de 1999 à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Il s’articule autour de principes majeurs pour l’OTAN : les participants doivent avoir établi un contrôle démocratique civil sur le militaire, respecter les libertés fondamentales et instaurer l’état de droit et l’économie de marché. Les participants s’engagent dans un programme de planification et d’adaptation dans les domaines politiques, économiques, juridiques, de défense et de sécurité. Sur cette base, des réunions rassemblant experts civils et militaires sont organisées afin de transmettre des conseils d’ordre politique et technique. L’évaluation se fait périodiquement lors d’une réunion du Conseil de l’Atlantique nord. Enfin, si le MAP n’est pas une garantie formelle d’adhésion, il constitue une étape incontournable et un signal politique fort de la part de l’OTAN. Le MAP a été utilisé pour les élargissements successifs aux pays Baltes et à l’Europe orientale ainsi qu’aux Balkans. Actuellement, seule la Bosnie-Herzégovine participe au MAP, possibilité qui lui a été conférée en 2010.

Toutefois les conditions ne sont pas réunies du point de vue de l’OTAN pour une adhésion de l’Ukraine même si son intégration à l’Alliance a été évoquée lors du sommet de Bucarest en 2008. En effet, aucun consensus n’existe entre Alliés qui soulignent comme préalable les nécessaires réformes politiques et militaires. Par ailleurs l’octroi du MAP est suspendu au règlement du conflit russo-ukrainien. Pour obtenir le MAP, les pays candidats doivent avoir réglé « leurs différends internationaux par des moyens pacifiques […] conformément aux principes de l’OSCE et qu’ils recherchent des relations de bon voisinage ». De fait, l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, la persistance du conflit dans le Donbass et la guerre déclenchée par le gouvernement de Vladimir Poutine en février 2022 obèrent toute possibilité pour Kiev de rejoindre l’OTAN.

L’Ukraine est-elle protégée par la garantie de l’article 5 de l’OTAN ? L’OTAN est une alliance régionale défensive dont la clause de sécurité, l’article 5, ne s’applique qu’aux États membres qui s’engagent à se protéger mutuellement. De fait, comme l’a rappelé récemment le secrétaire général Jens Stoltenberg, les pays bénéficiant du MAP ou partenaires de l’OTAN ne sont pas couverts par cette garantie. Cette absence de garantie est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle le gouvernement ukrainien demande un calendrier clair et réalisable d’adhésion. 

Depuis le début du conflit, l’action militaire de l’OTAN se limite donc au renforcement de la posture de dissuasion sur le flanc Est. Cependant, depuis l’annexion illégale de la Crimée, l’OTAN a acté la nécessité d’un renforcement du soutien à l’Ukraine afin de lutter contre les menaces hybrides et d’approfondir les réformes dans le secteur de la sécurité et de la défense et le développement capacitaire. Enfin, l’aide militaire peut s’effectuer sur une base bilatérale : chaque État membre de l’OTAN peut décider d’apporter de l’aide militaire ou humanitaire. C’est ce qui a été fait depuis le déclenchement de la guerre en février 2022.

De fait, le narratif russe fondé sur l’adhésion prochaine de l’Ukraine à l’OTAN ou l’idée que l’Alliance pourrait prêter assistance à Kiev en cas d’agression est un prétexte forgé par le gouvernement de Vladimir Poutine pour déclarer la guerre. Ce faisant, trois principes majeurs sont bafoués : la souveraineté, l’intégrité territoriale et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

 

Amélie Zima, chercheuse à l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’École militaire) et au Centre Thucydide (Université Paris 2 Panthéon-Assas), est chargée de cours à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Contact : amelie.zima@irsem