Qui êtes-vous ? Racontez-nous votre parcours ?

Je suis chercheur postdoctoral au Centre Émile Durkheim à Sciences Po Bordeaux et à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire.
Avant de rejoindre l’IRSEM j’ai soutenu une thèse sur les interventions internationales et la résolution des conflits, et plus spécifiquement sur la construction d’institutions étatiques légitimes comme élément central de la consolidation de la paix. La question plus large que je me suis posée est la suivante : quels facteurs déterminent le résultat du statebuilding international ? Pour y répondre j’ai essayé de développer une théorie qui décrit la trajectoire et le résultat du statebuilding fondée sur un modèle d’interactions stratégiques entre les acteurs locaux et internationaux en analysant la connexion entre ce que les acteurs veulent, l’environnement dans lequel ils s’efforcent de promouvoir ces préférences et le résultat de cette interaction. Le modèle met en évidence les conditions dans lesquelles le statebuilding international peut promouvoir une réelle transformation, ou sous quelles circonstances il est peu susceptible de faire une différence. La performance du modèle est mesurée dans le cas du Kosovo, où j’ai mené mes enquêtes de terrain. Durant mes études doctorales, j’ai également été invité à séjourner au Centre on Conflict, Development & Peacebuilding de l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève.
Avant ma thèse, j’ai étudié à Sciences Po Bordeaux où j’ai obtenu un master en Politique internationale.


Quels sont vos axes de recherche actuellement ? Où peut-on vous lire ?

Plusieurs chantiers de recherche sont actuellement en cours. De manière générale, depuis la soutenance de ma thèse, je travaille en permanence sur plusieurs projets. Cette approche n’est pas sans risques et peut se révéler assez prenante, mais elle permet d’éviter l’ennui et surtout d’enrichir mutuellement les projets.
Ainsi, je m’intéresse toujours aux interventions post-conflit. Je m’apprête à entamer un travail de réécriture de mon manuscrit de thèse en vue d’une publication. En parallèle, j’essaie de contribuer aux études sur la médiation des conflits, notamment en suggérant dans un article un raffinement du modèle de maturité (ripeness) de Zartman à partir d’une comparaison des processus de médiation entre le Kosovo et la Serbie et entre la Macédoine du Nord et la Grèce.

Le postdoctorat à l’IRSEM me permet d’élargir le champ de ma recherche et me pousse à m’intéresser à l’un des débats les plus animés des relations internationales portant sur l’émergence de puissances révisionnistes qui contribuerait au changement systémique et remettrait en cause l’ordre international soutenu par les États-Unis et, pour ce qui concerne l’espace régional balkanique, l’ordre promu par l’UE. À l’encontre de ces discours, j’essaie de démontrer pourquoi l’UE est si dominante dans les Balkans et pourquoi l’émergence de la Chine, de la Russie et de la Turquie est limitée. Cette recherche m’amène à travailler sur le développement d’une approche intégrée pour comprendre l’essor, le maintien et éventuellement le déclin des ordres hégémoniques. D’ailleurs, une note de recherche de l’IRSEM vient d’être publiée sur le positionnement stratégique des États des Balkans occidentaux vis-à-vis des émergents où je traite notamment des relations de patronage et des partenariats de sécurité des six États avec les puissances internationales. Un autre objectif anime cette recherche, celui de proposer un modèle conceptuel pour rendre compte de la politique européenne à l’œuvre dans les Balkans occidentaux. Au-delà des Balkans, j’envisage de creuser davantage la question relative aux changements et contestations de l’ordre international : une section sur cette thématique sera organisée au Congrès 2021 de l’ABSP-CoSPoF, suivie d’une publication dans un ouvrage collectif.

À terme, je souhaite combiner les apports des théories des RI et des peace studies pour étudier – dans une approche historique – la manière dont les changements du système international impactent la consolidation de la paix. Je suis convaincu qu’en intégrant la politique mondiale dans l’analyse, cela permettra d’améliorer notre compréhension des opérations de paix, afin de les rendre plus efficaces pour résoudre les conflits contemporains.


Pourquoi avoir choisi la « recherche » ? Comment percevez-vous votre rôle de chercheur ?

Mon histoire personnelle a fondamentalement influencé mon travail intellectuel. L’ambition d’apporter ma pierre à l’édifice des RI a clairement été forgée par une combinaison d’événements, de personnes et de livres. Je suis né et j’ai passé les premières années de ma vie dans une petite ville en Serbie, à la frontière avec le Kosovo. Ma famille a quitté les Balkans en 1999 au moment des conflits en ex-Yougoslavie. Je nourris depuis un intérêt et une sensibilité particulières pour la région. J’ai eu la chance d’être formé dans des universités et des laboratoires qui ont une tradition d’ouverture vers les recherches internationales. Après une formation générale en économie, en droit et en science politique, je me suis progressivement spécialisé en RI. Durant mes études universitaires j’ai développé assez tôt un goût particulier pour l’étude des théories, d’abord économiques grâce aux cours prodigués par Frédéric Poulon, puis des relations internationales, enseignées par Dario Battistella. Le choix de mon sujet de thèse a aussi été dicté par l’insatisfaction à l’égard des approches existantes qui considéraient le résultat des interventions post-conflit en Bosnie et au Kosovo comme des anomalies. Je suppose que ces éléments sont à l’origine à la fois de mon intérêt pour la partie pratique des théories et de l’orientation de mes recherches actuelles sur les Balkans. En travaillant durant plusieurs années sur ce problème et en faisant des allers-retours entre la théorie et les découvertes empiriques, j’ai pu mettre en évidence les limites des approches dominantes : cela m’a permis de développer mon propre sens de la recherche.
En tant que spécialiste d’une discipline des sciences sociales, ce qui m’anime c’est de participer – à mon modeste niveau – à façonner et à remettre en question notre vision du monde, dans l’objectif ultime de rechercher des solutions au service de l’humanité. Cela nécessite une triple exigence : être analytiquement original, mobiliser une méthodologie sophistiquée et équilibrer la curiosité théorique par une analyse empirique solide. Mes productions scientifiques ne sont pas uniquement motivées par la logique interne de mes recherches, mais aussi par la tentative de donner un sens aux débats politiques d’actualité. Contrairement à ce que prétendent certains, s’évertuer à réduire le fossé entre la recherche universitaire et l’élaboration des politiques en matière de relations internationales ne nuit pas aux recherches fondamentales, à condition de ne pas considérer que l’influence directe sur la décision politique est plus importante que la simple rédaction d’articles.